Léa Stréliski, mère supérieure

La réponse d’une nullipare à une chroniqueuse qui parle de ce qu’elle ne connaît pas.

Chère Léa,

Allons droit au but : j’aimerais qu’on approfondisse ensemble certaines des aberrations colportées dans votre torchon de momsplaining publié dans L’actualité. Je préciserai d’entrée de jeu que je parle au nom de celles qui choisissent consciemment de ne pas avoir d’enfants, pas de celles qui voudraient en avoir, mais ne peuvent pas. (Leçon gratuite : je traite ici d’une situation que je connais, que je vis, que j’ai choisie. Contrairement à, disons, vous.)  

  1. « Ma copine doit pouvoir se donner le droit d’être femme. » Si votre copine a besoin de vous, pâle copie de Michelle Duggar, pour lui dire qu’elle a le droit d’être femme, son principal problème n’est ni la maternité ni les questions qu’elle soulève.

  2. À quel moment avez-vous pensé qu’une maman de trois chaudrons* pouvait prendre la parole au nom des femmes qui font le choix de ne pas avoir d’enfants pour leur dire de manière bienpensante qu’elles sont entières et que leur choix est valable? Comparons ça au fondateur d’un ribfest texan faisant l’apologie du véganisme en avalant un rack de baby back. Pour la crédibilité, on repassera.

  3. Vous parlez d’une question « délicate, douloureuse, tue, taboue et non discutée ». C’est sûr que vous, avec vos trois héritiers, vous savez c’est quoi, faire le choix de ne jamais enfanter. Vous savez de quoi vous parlez, et vous connaissez les circonstances entourant ce choix. Quelle surprise n’aurez-vous pas en apprenant que vous avez tort!?! Délicate, rarement. Douloureuse, pantoute. Tue : et pourquoi j’en parlerais? Taboue? En Mauritanie, peut-être. Non discutée : synonyme de tue. Chère Léa, ce choix peut être simple! Il peut être évident! Il peut être bien accueilli! Mieux, il peut être ce que nos amis anglo appellent a non-issue. Fou, hein?

  4. « Mais si je regrette? » C’est la vie, ça. Peu importe le choix qu’on fera, on regrettera, ou pas. Au resto, on fait parfois des choix moins heureux. En amour aussi. L’avantage de choisir de ne pas avoir d’enfants, c’est qu’on a un bon 15 ans pour y arriver. Des fois plus. Certaines, comme moi, savent à 10 ans qu’elles ne sont pas faites pour ça et que toute l’aventure de la maternité leur fait aussi envie qu’un après-midi au Beachclub. D’autres prennent leur temps et pèsent les pour et les contre pendant des années. Chaque choix comporte un risque de se tromper. C’est pour ça que j’aimerais connaître le nombre de mamans qui ont réalisé trop tard qu’avoir un enfant n’était pas pour elles. Là, Léa, on pourra parler d’une question « délicate, douloureuse, tue, taboue et non discutée ». Parce qu’elles existent, ces femmes.
     
  5. « Horloge biologique ». Un clic vous aurait permis de déboulonner ce mythe archaïque digne de Father Knows Best. Mais, drapée dans votre supériorité maternelle, vous ne pouvez accepter qu’une telle construction sexiste n’existe pas ou même concevoir que ladite horloge peut n’avoir qu’une seule option : snooze.

  6. « L’appel est fort. Il est vieux. Il est puissant. Il est dur à combattre. » Il n’y a pas d’appel de la maternité, ni vieux ni jeune, aucune puissance à laquelle la faible femme peine à résister. We’re not that special, destinataires sélects d’appels célestes. L’envie d’avoir des enfants, c’est ça : une ENVIE. Ce prétendu appel n’est qu’un autre mythe paternaliste pour décrire son envie d’être mère ou pour exercer une pression sociétale, perçue ou non par la principale intéressée, de procréer. Une envie plus dure à « combattre » pour certaines, mais certainement pas un appel mystique qui nous dépossède de notre corps. (Saluons au passage celles qui trouvent que l’appel des Décadent du Choix du Président est fort, vieux, puissant et dur à combattre.)

  7. « Parce que le deuil qu’aura à vivre mon amie si elle n’a pas d’enfants, c’est celui de ne pas répondre aux attentes. » Mais qu’en savez-vous, de ce prétendu deuil? Et si votre amie ressentait plutôt un grand soulagement? Le deuil, c’est votre interprétation à vous. Et les attentes… de qui? De vos parents? De la société? Pour ma part, jamais en presque 45 ans d’existence ne me suis-je heurtée aux attentes mentionnées dans votre billet irréfléchi. On attendait de moi que je sois une bonne citoyenne, honnête. Que je fasse un métier que j’aime, que je sois autonome financièrement, que je me comporte avec civisme et empathie. Que je fasse les choix nécessaires à mon bonheur (relisez cette phrase quelques fois). Que je sois droite. Ponctuelle, aussi, merci maman. Mais MÈRE? Jamais. Personne n’a jamais attendu ça de moi, de ma famille aux religieuses qui m’ont enseigné au secondaire et au cégep. Personne. Il faudrait définir « attentes », Léa, et éviter de croire qu’on se fait toutes imposer les mêmes.

  8. « Si on ne partait pas du principe que les femmes sont faites pour être mères, mon amie ne se poserait pas toutes ces questions. » Question d’éducation et de milieu, j’imagine. Jamais mes parents ne m’ont poussée vers la maternité. Jamais n’ai-je même eu le fœtus (rhoooooo) de ce principe toxique dans la tête. Mais savez-vous QUI part de ce principe, Léa? Vous. Or, parce que vous vous croyez aussi progressiste que moderne, vous faites l’effort de « comprendre » vos amies qui font un choix différent du vôtre, les félicitant d’avoir trouvé en leurs chatons un exutoire à leur amour. C’est d’ailleurs le meilleur passage, puisqu’on sait tous que les chatons sont le remplacement rêvé des petits humains qui se font caca dessus.

  9. « Et en plus, tu t’épargnes un accouchement. Ouf, accoucher. C’est ça qui est nul. » Il vous aura donc fallu trois accouchements pour réaliser ça. Alors que certaines d’entre nous, sorcières clairvoyantes, le savons sans même avoir besoin de le vivre. Imaginez, vous auriez pu VOUS épargner non pas un, mais bien trois accouchements si vous nous aviez consultées en amont. Aaaaah, mais j’oublie, c’est cette maternité ostentatoire qui vous octroie le droit de vous porter à notre défense! Bien joué. Cette phrase faussement complice est l’équivalent de celle prononcée par une marathonienne à son amie plutôt portée sur le sofa et le bourgogne : « Tu fais bien de pas courir de marathon, ça fait si mal ». Une glorification de vos exploits en rabaissant l’autre, sale petite gifle mesquine. Ouf, comme vous dites.

En montant aux barricades en notre nom alors qu’on ne vous a rien demandé, vous créez une tempête dans un verre d’eau : le vôtre. Parce que pour la vaste majorité d’entre nous, le choix a été clair, limpide, facile, évident. Vos mots viennent ainsi brosser un portrait tout autre… à côté de la plaque. C’est salement pernicieux, surtout venant d’une jeune femme. Sororité, mon derrière plat de quadra blanche. (Sisterhood, mon cul, pour les moins vite.)


Moi, Léa, j’adore le chocolat. Ça fait plus de 40 ans que j’adore le chocolat. Et je tombe des nues quand quelqu’un me dit qu’il n’aime pas cette friandise divine. Et bien que rationnellement je comprends qu’on peut ne pas aimer le chocolat, j’aborde la vie avec des lunettes d’amatrice de chocolat et je trouve, pour être bien franche, que ceux qui n’aiment pas le chocolat passent à côté de quelque chose de merveilleux. Oh, bien sûr que je vais dire qu’ils peuvent choisir de se sucrer le bec avec des réglisses, faire mine de comprendre leur choix de dessert aux baies ennuyantes. Cela dit, au fond de moi, je ne comprendrais pas. Je ne peux pas comprendre. Et, ne comprenant pas, je me garderais une petite gêne de parler en leur nom. Votre chocolat à vous, Léa, ce sont les enfants.


Vous ne savez pas ce que c’est, ne pas vouloir d’enfant. Vous ne pouvez pas concevoir qu’on sache à 10 ans qu’on n’est pas faite pour ça. Vos lunettes chocolatées vous en empêchent. Brandissant votre féminité maternisante, condescendante et faussement bienveillante telle la preuve de votre infaillible expertise, vous vomissez un tas de faussetés et braquez les projecteurs sur les femmes qui attendent autre chose de la vie en criant « Vous dérogez du chemin millénaire tracé pour toutes les femelles, mais on vous accepte malgré vos choix ». Et ça, ça contribue à créer l’idée que les femmes comme moi ne le sont pas à 100 %. Je vais donc vous inviter à fermer votre petite trappe péremptoire de défenderesse de la femme au ventre volontairement vide : on s’organise très bien sans vous.

*C’est mon père qui appelle avec justesse les enfants des chaudrons. Parce que « ça fait du bruit pis c’est toujours sale ».

13 Commentaires

  1. Sandra Wells dit :

    Vitriolique. Tu devrais l’envoyer à l’Actualité

    Envoyé de mon iPad

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  2. Johanne dit :

    Pif, paf! Je n’ai pas pris sa chronique aussi mal que vous (je l’ai abandonnée au mot « tabou » parce que… non, c’est pas ça), mais je partage assez votre impitoyable analyse. Et puis « nullipare », moi, ça m’a toujours fait rigoler. J’aime aussi « cu-de-sac génétique », mais celle-là n’est pas de moi!

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  3. Louise lapierre dit :

    Je n’ai rien trouvé de drôle ou de pétillant à être enfant, je me sentais de trop dans une famille d’adultes occupés et c’est pour ça que je n’ai pas eu d’enfant
    Les princesses et les contes de fées n’avaient pas leur place…

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  4. crigervais dit :

    Ah, mais que j’aime, quasi à la folie, ce brillant texte! Merci!

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  5. Josée Boily dit :

    Vous avez tellement raison. Je savais à 6-7 ans que je n’aurais pas d’enfants. Jamais eu de pression de personne, pis anyway j’en aurais eu rien à crisser. Pas un tabou non plus, j’ai toujours parlé de ça le plus spontanément du monde. Si certains m’ont jugée, je l’ai pas remarqué. J’ai maintenant 56 ans et je ne regrette rien. J’ai pas de chats. Juste le même chum depuis 33 ans.

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  6. Juliette dit :

    Je pense qu’on est ici à 2 extrémités de pensées opposées et c’est très intéressant à lire mais j’aimerai apporter un petite nuance à tout cela. On a ici une femme qui a 3 enfants et une qui n’en a jamais voulu. Pourtant au milieu il y a tout un spectre. Je suis de celles qui, à 35 ans et heureuse en couple, se demande si elle en veut vraiment ou pas. Pourtant de mon plus jeune âge jusqu’à mes 25 ans il était absolument hors de question pour moi de me reproduire. Pis quand toutes tes amies commencent à en avoir et à vivre cette « épiphanie d’amour » tu te demandes si t’es pas en train de passer à coté d’une expérience « extraordinaire » (je mets des guillemets parce que personnellement, j’en ai aucune idée si c’est vrai tout ça). C’est donc possible que notre position face au fait de vouloir des enfants change, évolue. Malheureusement, plus on attend et on se questionne, moins notre corps va nous suivre. Comme s’il ne nous laissait pas le temps de bien réfléchir à cette question si compliquée.
    Bref le texte de Lea ne m’a pas autant choqué, j’ai aussi adoré le vôtre, d’ailleurs, je vous vole l’affaire du chocolat, mais je voulais montrer que c’est possible d’avoir le cul entre ces 2 chaises là. Sur ce, je retourne auprès de mon bébé chat !
    Mais merci pour vos mots !

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    • Ah mais je suis avec vous à 300 %! La maternité et tout ce qui l’entoure, c’est 8 000 nuances de gris, sinon plus. La réalité de chaque femme est parfaitement unique, et sa relation avec la maternité l’est tout autant. Je parlais ici au nom de celles pour qui c’était clair qu’enfanter n’était pas pour elles. Celles qui vivent leur vie sans enfants comme un choix bien assumé, une situation qu’elles sont voulue. Celles qui se sont fait dire par Léa hier que, même si elles dérogeaient à la norme, avaient le droit de se dire femme. Le tout lié à la sauce de fausse bienveillance, avec une pincée de condescendance paternaliste. Venant 1- d’une femme 2- plus jeune que moi 3- qui ne pourra jamais comprendre d’où je pars, c’est non. Un tel billet alimente la croyance enfouie que des femmes comme moi sont un peu des sorcières. Parce que pourquoi aurait-on besoin qu’une maman vole à notre défense si c’est pas parce qu’il y a quelque chose de « pas correct » chez nous? Ça suffit, là. Son corps, son choix. Quant à vous, je vous souhaite une réflexion sereine et un choix avec lequel vous serez en paix : ça brasse plein de choses, toutes ces questions! Une flatte derrière l’oreille du bébé chat 🙂

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  7. Isabelle Tremblay dit :

    Je sais depuis que je pense que je ne voulais pas d’enfants. À presque 60 ans, si vous saviez combien de fois on m’a dit que je changerais d’idée

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  8. Ouf! Quelle réponse incisive! Je ne sais pas si j’aurais eu le courage d’être aussi directe, mais, en tout cas, j’endosse. Moi non plus, je n’ai jamais voulu d’enfants, et moi non plus, je n’ai jamais senti tant de pression (sauf peut-être de la part de mes parents qui auraient voulu des petits-enfants, mais la pression était discrète et silencieuse). Et ce n’est pas l’horloge biologique mais la simple logique qui m’a faite me demander, à l’approche de la quarantaine: «Es-tu certaine de ne pas vouloir d’enfants?» «Oui», me suis-je répondu cinq minutes plus tard.

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  9. Michelineletarte dit :

    Quel article brillant, décapant, mais combien approprié face à un tel obscurantisme !

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  1. […] ma boîte de courriel, l’autre jour, cette fulgurante montée de lait d’une blogueuse intermittente dont j’avais oublié l’existence. Sa fureur toute concentrée sur le propos […]

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