Les misères du cancer
Cancer. Déjà, le nom fait frémir. C’est gros, le cancer. C’est abstrait, ça a des limites floues, ça déjoue les plus grands spécialistes, ça détruit tout, ça tue parfois.
Mais ce que j’ai appris cette année, c’est qu’après le choc initial d’un diagnostic de cancer, on doit accepter d’ouvrir la porte à une enfilade de petites et grandes misères. On n’a pas le choix. Le cancer se guérit par la souffrance.
Je ne connais pas tous les cancers. Je ne veux pas les connaître. Mais j’ai fait la connaissance de la leucémie, deux fois plutôt qu’une. On l’avait virée l’été dernier en lui disant de ne plus jamais se pointer. Va-t’en, salope, pis crève en chemin. Mais la leucémie est sournoise, elle n’écoute pas, elle fait à sa tête. Elle est donc revenue en force, pour nous faire découvrir que le cancer, c’est plus qu’une maladie qui fait peur : c’est une maladie qui fait mal.
Oui, je vous parle encore de Mai. Parce qu’on la connaît, c’est une fille comme nous, une femme, une amoureuse, une maman, une rieuse, une fille qui aime avoir les deux mains dans la pâte à tarte, une travailleuse compétente, forte, qui a(vait) une carrière de feu devant elle. Elle a donné un visage au cancer, pour nous les chanceux qui avions été épargnés jusqu’à présent. Elle personnifie cette terrible maladie qui « ne m’arrivera jamais, voyons donc ». Vous tous qui lisez ces lignes ne pensez jamais vous retrouver dans sa situation. La leucémie, c’est toujours pour les autres. Elle se disait ça, elle aussi.
La leucémie nécessite une hospitalisation en quarantaine. Plusieurs semaines passées dans la même chambrette aux couleurs d’un bureau de fonctionnaire (lire ocre et bourgogne, je vous niaise même pas), éclairée aux néons. La seule lumière que t’as pendant ces longues semaines en isolement, c’est du néon. Imaginez vivre dans cette lumière violente pendant six ou sept semaines…
L’isolement, ça veut aussi dire que tu peux pas prendre le monde que t’aimes dans tes bras. Tu peux pas voir ta fille. Être une mère et séparée de son enfant, c’est d’une cruauté sans nom. T’as beau te répéter que c’est pour ton bien, un moment donné, une maman a besoin de se mettre le nez dans le cou de son enfant, lui faire des pets de bedon, le tenir dans ses bras. Une mère a besoin d’être une maman. Mais la leucémie t’enlève aussi cette possibilité-là.
Tous les matins de son hospitalisation, Mai se faisait réveiller par une prise de sang… sous les néons. À six heures. Tu rêves à Bradley Cooper sur une plage, et la prochaine chose que tu sais, t’as une aiguille dans le bras. Sous les néons. Dans une chambre bourgogne et ocre. Tous. Les. Matins.
La leucémie, c’est des traitements violents qui meurtrissent le corps. La science n’étant pas encore assez avancée, les traitements de chimio sont une sorte de moissonneuse-batteuse : ils ramassent tout sur leur passage, même ce qui est encore sain. Ce qui doit guérir rend malade au possible. On voit bien la perte des cheveux. Ça doit être terrible, perdre ses cheveux. Parlez-en à John Travolta. Mais on ne parle jamais des ulcères dans la bouche qui font si mal qu’on ne peut pas manger. Et même si on a envie de manger, l’odorat et le goût sont tellement affectés que même le caramel au beurre salé goûte l’huile de foie de morue. On ne parle pas des problèmes de peau, des problèmes de vision, des diarrhées, des phlébites, de la rétention de liquide dans le visage qui donne un air de bonhomme de neige même si on perd du poids jusqu’à flotter dans ses jeans. La chimio, bien qu’elle tue les cellules cancéreuses, cause des dizaines d’effets secondaires qui rendent le quotidien extrêmement pénible.
Pour recevoir ta chimio, ils t’installent un tube dans la poitrine. Pas un p’tit tube fin et délicat. Un tube de la taille d’un Papermate. Direct dans les veines, installé en permanence. T’as un trou dans la poitrine d’où pendent les cathéters qui sont branchés à diverses machines de soluté, te pompant les médicaments dans le corps. Un trou dans la poitrine avec plein de fils qui pendent. Pensez-y.
Et, trop souvent, la chimio ne suffit pas. Ça prend aussi de la radiothérapie. La radiothérapie, c’est pas écouter Rythme FM et se bercer au son de Michel Rivard, non messieurs- dames. C’est recevoir des doses massives de radiation juste assez forte pour tuer les cellules cancéreuses, mais pas assez pour tuer les autres. Mais ça les endommage en sivouplait. La radio, ça se fait tout seul dans une salle, couché sur une table et nu comme un ver, le corps bariolé de marques de crayons pour bien cibler les rayons. C’est long. Trop long. Si t’ouvres les yeux, t’as le canon à rayons d’apparence soviétique dans la face. Ça fait peur. Si tu fermes les yeux, tu peux pas t’évader, parce que tu penses à ce que ton corps est en train de subir. Et là, tu te mords les joues pour ne pas pleurer, parce que les larmes te chatouillent les oreilles mais tu peux pas bouger pour les essuyer. Et quand tu sors de là, t’es épuisé. Épuisé jusqu’à ne pas pouvoir te lever pendant des jours. Vidé, exténué. Tu retournes dans ta chambrette bourgogne et ocre éclairée aux néons, pour savoir que demain tu pourras pas dormir longtemps : quelqu’un viendra te piquer à six heures du mat’.
Tout ça, c’est physique. Mais le mental prend une solide claque aussi. Vivre la peur au ventre, tous les jours. Peur de l’aiguille de six heures du matin, peur d’avoir encore plus mal demain, peur des mauvaises nouvelles, peur des traitements intrusifs, peur de rater des événements importants, peur de mourir. On a peur de bien des choses, mais peur de mourir, pas souvent. Sauf peut-être quand on mange au Jardin Tiki.
On n’imagine pas toutes les misères attachées au mot cancer. On sait pas, pis on veut pas le savoir. Comme on refuse de savoir d’où provient la fourrure sur le col de notre Canada Goose. On ferme les yeux. Parce que le cancer, ça se voit pas, ça saigne pas, ça fait pas de dommages visibles.
J’ai appris cette année que le diagnostic de cancer est la pointe de l’iceberg. Ce qui attend les patients est un Everest de petites et grandes souffrances répétées. Tous ceux qui traversent ça sont incroyablement forts. Et ceux qui, comme Mai, traversent une des plus dures épreuves de la vie avec le sourire, la grâce, le courage et l’humour ne sont rien de moins que des surhommes.
Le temps des fêtes approche : souhaitons-nous de la santé. Parce qu’on le voit bien que y’a rien que ça, au final, qui compte pour vrai.
5 Commentaires
Tellement raison. Ça magane. Ça détruit. Ça ravage.
Et le plusse difficile, c’est de voir ces personnes dépérirent tranquilement. Sans rien pouvoir faire.
Dur-dur.
Mais tu racontes bien ça: tu as une belle plume.
Continue.
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Bien dit Christiane et sur ces mots je te souhaite ainsi qu’à tous tes lecteurs santé et joie de vivre!
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Oh que oui, les misères du cancer, plus je lisais, plus je me revoyais dans cette histoire une petite fille de 9 ans qui ne savait pas que 40 ans plus tard, elle pourrait encore être en vie pour lire ça….ouff ,plus qu’on avance dans le temps, plus c’est pareil, seul le nom du cancer pour ma part est différent, ostéosarcome !
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Un texte touchant, un propos percutant, et de multiples émotions qui se bombardent en pensant que cette description représente ce que bien trop de gens vivent chaque jour. Quel courage il faut pour faire face à ça. Mes souhaits de bonne santé seront encore plus sincères ette année. Merci Christiane.
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Le cancer fait aussi des dommages visibles…. Quand les tumeurs sont grosses ça se voit. Le cancer de la peau ça se voit et ça laisse aussi des cicatrices (cancer du sein, testicules etc..). Beau témoignage…. Ma petite fille vient de naitre et ma bru a donner le cordon ombilical… On fait de la sensibilisation tout autour…. Ensemble on est plus fort
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