Ce client-là
Il y a les clients gentils, ceux qui confient de beaux mandats, ceux qui rédigent de bons briefs, ceux dont le feedback est intelligent, allumé, et intéressé. Les clients gentils respectent l’échéancier, sont dispos quand tu as des questions, sont avenants, et payent rubis sur l’ongle. Ces clients-là, tu les aimes d’amour et tu ferais des roues latérales sur un tapis de clous pour les satisfaire. Ils sont, Dieu merci, les plus nombreux.
Mais il existe aussi ce client-là. Celui-là, là. Celui qui a de jolis bureaux, des employés arborant les obligatoires tatouages, cheveux ombrés, chaussettes funky et chemises boutonnées à ras du cou pour te faire croire qu’il est dans la gang des clients cool. Celui qui, en 2015, t’explique d’un air contrit que malheureusement, ses conditions de paiement sont de 90 ou 120 jours et que c’est bien involontaire de sa part. Trois ou quatre mois pour émettre un tout petit chèque, c’est-tu rire du monde ou c’est rire du monde? Et t’acceptes malgré toi ces conditions. Pas parce que tu comprends ou que tu souhaites accommoder ce client-là, soyons clairs. T’acceptes parce que t’as pas le choix. T’acceptes parce que si tu veux la job, c’est ce que tu dois avaler (de travers) pour l’obtenir. T’acceptes de reculons, mais tu te raisonnes : au moins, tu le sais d’avance, ça sera pas une surprise, c’est quand même délicat de t’avoir prévenu, excuses excuses excuses.
Sauf que ce client-là, au final, ne respecte même pas ses propres conditions. Parce que ce client-là est au-dessus de tout ça. Les règles, les ententes, les contrats, c’est pas pour lui. Ce client-là n’a pas de parole. Les 90 ou 120 jours passent, le paiement n’arrive pas. Tu t’en doutais quand même un peu : quand quelqu’un a besoin d’un solstice pis d’un équinoxe pour trouver une si petite somme, c’est probablement parce qu’il en arrache un peu. Tu laisses le temps passer, tu inspires-expires, tu prends sur toi. Au bout de deux semaines de retard, tu envoies un courriel. Tu te fais (évidemment) répondre « je regarde ça et te reviens rapidement ». On ne te revient (re-évidemment) pas. Tu rappliques et c’est là qu’arrive le légendaire « le chèque est dans’ malle ». Sauf qu’à croire ce client-là, Postes Canada prend 15 jours pour livrer un chèque provenant de huit rues plus loin. Avec ce client-là, le chèque n’est pas seulement dans’ malle : il y prend une sabbatique.
Ce client-là n’accepterait jamais que le fournisseur ne rende pas le travail à temps. Il n’accepterait pas non plus que le travail soit mal fait. Mais lui, parce qu’il est ce client-là, il se permet d’agir à sa guise, parce que, comme il aime se le répéter, il a le gros bout du bat. Ce client-là se fiche bien de savoir que son arrogance et sa malhonnêteté empêchent des gens de payer leur loyer, de manger, de mieux dormir le soir, sans stress. Ce client-là refuse de voir que ne pas payer ses fournisseurs, c’est se les aliéner. Ce client-là, en ne respectant pas ses propres ridicules modalités de paiement, deviendra de ceux que les bons fournisseurs entrent dans la colonne des NON-JAMAIS DE LA VIE-ARK-NOPE.
Quoi faire, alors, à part lui souhaiter une maladie de peau souffrante qui défigure? Le harceler par courriel et téléphone? Aller te planter à la réception et exiger le paiement là là tout de suite maintenant? Envoyer une mise en demeure? Non. Rien de tout ça. (Quoique la mise en demeure ait déjà fait ses preuves). Simplement refuser de travailler avec lui dans l’avenir ET en parler aux bons pigistes de ton entourage (commencer par « va pas travailler là, c’est du bénévolat » est une bonne entrée en matière). Ce client-là, à force de traiter les bons pigistes et fournisseurs comme des personnes de second ordre, se verra contraint de travailler avec des mauvais pigistes et fournisseurs, ceux qui acceptent de se faire payer en trois ou quatre mois parce qu’ils n’ont pas le loisir de choisir leurs mandats, ceux qui acceptent pas mal n’importe quoi. Ce client-là sera rapidement entouré de mauvais monde qui lui fournira de mauvais services, et donc produira de mauvaises choses. Éventuellement, ce client-là sera reconnu comme un vrai de vrai pas bon et verra, on l’espère, sa business péricliter. Et ça, c’est une vengeance ô combien plus douce que la maladie de peau qui défigure. Quoique s’il y a une option qui offre les deux…
5 Commentaires
How true!
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Tiens, justement, c’est le client que je viens de flusher. Hon… (j’ai passé le mot!)
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C’est qui ce client là que je me sauve le plus loin possible s’il se présent un jour? 🙂
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Je me retiens à deux mains, là 🙂
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Ouain, j’ai aussi connu ce client-là!
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