T’es pas grosse

La tendance actuelle en publicité destinée aux femmes est celle de l’empowerment. Comme c’est le cas de beaucoup de termes anglais, l’empowerment n’a pas son équivalent juste dans la langue de Molière. Dommage, parce que le terme véhicule son lot de notions importantes : reprendre le contrôle sur sa vie, se sentir forte, valable et bien, exister dans ses propres yeux avant tout, se donner les moyens de réussir, se sentir belle, bref, être chef de soi, PDG de sa petite personne, papesse de Moiville.

Les premières fois qu’on est exposée à une pareille pub, on se dit, YESSS! Ils ont enfin compris! Des vraies femmes débordant un peu de leur culotte, des bras potelés, des bedons qui ont porté un, deux, trois enfants, des rides et des cheveux gris, des nez aquilins, des mentons à trou, des oreilles décollées, des muffin tops. Le tout avec un sourire sincère. Vraiment, ovation. Ça fait du bien, du « vrai » monde. Mieux, du vrai monde heureux.

Là où je ne joue plus, c’est quand je constate la multiplication de ces pubs qui nous disent, en nous flattant les cheveux de manière un brin paternaliste, « nenon, fille, t’es pas moche, t’es pas laide, t’es pas grosse ». Parce que c’est à force de se faire dire qu’on n’est pas quelque chose qu’on finit par se demander si on l’est pas un peu, au fond.

Les marques de beauté et de mode n’en finissent plus de mettre de l’avant des « vraies » femmes dans leurs pubs. L’histoire change, les produits aussi. Mais le fil conducteur demeure : vous vous trouvez moches, mais vous vous trompez, vous êtes sublimes.  Est-ce que toutes les femmes se trouvent véritablement moches? Est-ce que toutes commencent leur journée découragées? Apparemment (et tristement) oui, puisque c’est le seul insight identifié par les marketeurs au cours des dernières années pour nous vendre des potions miracles pouvant effacer rides et cellulite que, bien que tu sois pas moche, fille, tu ferais mieux d’essayer de faire disparaitre.

On annonce en grande pompe que telle ou telle marque vient d’engager sa première mannequin taille plus. On capote, on est heureuse : quelle avancée! Puis on se rend compte que ladite mannequin taille plus, c’est Robyn Lawley.  Attendez, là… what? Cette fille est l’archétype de la déesse. Pis ça, c’est sensé nous faire sentir mieux? Que cette fille mérite l’étiquette taille plus, c’est sans doute parce qu’on la compare aux corps émaciés défilant habituellement à Londres, Milan ou New York. Bien que l’industrie de la mode veuille me faire croire que Robyn est une belle grosse toutoune, dans son cas, « taille plus », signifie sans doute plus belle, plus femme, plus en santé, plus sexy, plus saine. Comment concilier les messages? Cette même industrie, qui se targue de célébrer la diversité des corps, appose l’étiquette de grosse sur une femme absolument sculpturale. Si cette divine beauté mérite qu’on la traite de taille plus, nous, la masse, on doit vraiment être des thons.

C’est pas nouveau, les marques inventent de toutes pièces des complexes pour vendre leurs élixirs. Alors que le monde de la pub québécoise célébrait récemment le beau succès de 1One et des Studios Apollo pour une campagne de Dove (succès que j’applaudis fort aussi, don’t get me wrong), moi, ce qui m’a marquée, c’est le message de cette pub. De toutes petites filles de rien expliquent à la caméra l’impossible calvaire de vivre avec des cheveux frisés. Des petites filles de 3, 5, 8 ans. Comment ça se fait qu’une petite fille de 5 ans pense déjà que des cheveux frisés, c’est mal? Le discours de ces petites m’indique qu’elles partent bien mal dans la vie. Si à 8 ans tu te soucies de ton apparence au lieu de jouer à la cachette, tu risques de trouver la vie plate longtemps. Leurs mamans tout aussi frisées leur montrent qu’on est capable de mener une vie riche et heureuse malgré cette tare capillaire. C’tu juste moi ou… euh…? Ce que j’en retiens, c’est que l’industrie de la beauté a inculqué à ces petites que leurs cheveux n’entraient pas dans les canons actuels de beauté, qu’elles partaient avec une strike. Cette même industrie qui te dit « t’es belle » t’a préalablement montré que tu l’es pas. Viens que je te casse un bras. Mais c’est pas grave, je vais te faire un beau plâtre juste après. Pis je vais dessiner des papillons avec des brillants dessus.

La répétition de ces messages d’empowerment finit par se faire place trop grande dans la psyché féminine. Comme toutes les femmes se trouvent apparemment au mieux ordinaires, je dois l’être aussi, non? Je vous parie un 20 $ que quand les archéologues de 2649 découvriront ces clips, ils ne pourront qu’en conclure que les femmes du tournant du millénaire avaient d’énormes problèmes corporels et mentaux.

J’en ai marre. Je revendique le droit de me trouver pas pire pantoute la plupart du temps. De me lever le matin pis trouver que j’ai un teint frais, des yeux pétillants, des dents droites. D’enfiler des jeans qui me font un derrière qui se peut et de me sentir bien. D’avoir un good barrette day. De trouver que ma tête est bien vissée et bien remplie. De me trouver l’fun. D’acheter une crème trop chère parce qu’elle sent bon ou est douce sur ma peau, pas parce qu’elle s’adresse à du monde moche comme moi. De choisir mes produits pour célébrer ma vraie beauté, pas celle qu’on m’attribue parce que je fais un peu pitié d’être si ordinaire. L’empowerment, le vrai, ça sera quand on verra toutes ces vraies femmes à la télé sans qu’on ait le besoin d’en parler.

Je ne serai jamais Gisele Bündchen. Mais je ne veux pas être Gisele Bünchen. Son chum dégonfle les ballons.

3 Commentaires

  1. Stéphanie dit :

    J’ai beau adorer votre article, qui oui, met en valeur quelques majeurs problèmes de notre société, mais bon, chaque siècle a son mal faut croire. Cependant, malgré le fait que vous disiez aimer la pub de Dove, vous utilisez le mot «tare» pour souligner le fait d’avoir les cheveux frisés, ou crépus. Est-ce une erreur de compréhension de ma part concernant le sens de l’énoncé, ou est-ce bel et bien en contradiction avec ce que ce serait sensé d’être ?

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    • Ce que j’aime dans la pub de Dove, c’est le fait que sa production a été assurée par deux boîtes montréalaises. Gros succès pour elles, donc. Mais la prod et le message sont deux choses distinctes. On peut donc applaudir le succès d’entreprises locales qui brillent à l’étranger sans toutefois être à l’aise avec le message véhiculé par la marque.

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  2. Marc Rochon dit :

    Non té pas grosse! Qui lit tes articles et quel sorte de feedback reçois-tu? Tu écris pour le plaisr ou avec un but ou des lecteurs ciblés dans ta mire?
    Ici, all is well. On aura plein de monde pour regarder les feux d’artifices mercredi soir. Et sans doute le reste de la semaine à Ripon, s’il fait beau. Tough life… Des hugs. Plein. Papa

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